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Retour sur 25 ans de développement de la plateforme Érudit

Résumé : Dans un environnement technologique en constante évolution, le rayonnement de la recherche ainsi que la découvrabilité des publications savantes reposent sur la mise en place de partenariats forts, de standards rigoureux et d’un processus d’innovation continue. C’est le travail que réalise le Consortium Érudit depuis 1998, afin de faire rayonner les revues savantes canadiennes en sciences humaines et sociales à l’international, et notamment dans l’espace francophone.

Quand on s’intéresse à la genèse d’Érudit, on redécouvre l’histoire récente des revues savantes : il y est question notamment de l’évolution des technologies, de prise en main par les communautés de recherche, de collaborations scientifiques nationales et internationales et de lutte pour préserver la bibliodiversité. Ce qui était un projet pilote en 1998 est devenu la principale infrastructure de diffusion d’articles savants en sciences humaines et sociales et en français au Canada. Érudit représente aujourd’hui une institution interuniversitaire et pluridisciplinaire intégrant un service de soutien de proximité aux revues savantes et une plateforme technologique de calibre mondial.

I. De projet pilote à projet phare

Les fondations d’Érudit sont posées en 1996 par les Presses de l’Université de Montréal (PUM), lorsqu’elles créent la Direction des publications électroniques, dont l’objectif premier est d’accompagner les revues savantes des PUM dans leur transition vers le numérique. Il apparaît alors que déposer du texte brut sur une page web ne suffit pas : pour que les articles puissent s’afficher correctement, en plus d’être facilement repérables par les moteurs de recherche, le contenu et les métadonnées de chacun doivent recevoir un traitement d’édition numérique poussé. Avec cette stratégie, la première plateforme erudit.org voit le jour en 1998, afin de rendre visibles et accessibles cinq revues scientifiques.

Le site Web d’Érudit en 1998

Le site Web d’Érudit en 1998

Au tournant du millénaire, de nombreux échanges entre la direction d’Érudit, les équipes des revues savantes et les chercheurs et chercheuses mettent en évidence le besoin d’établir des services professionnels d’édition numérique au Québec. Avec la volonté de valoriser la collaboration interinstitutionnelle, deux centres de production numérique sont créés, un à l’Université de Montréal et un à l’Université Laval. Les équipes universitaires élaborent une chaîne de traitement numérique des articles, un protocole robuste permettant au personnel technique de bénéficier d’un haut degré d’automatisation. En 2004, le Consortium Érudit est légalement fondé sous la forme d’une société en nom collectif, dont les associées sont l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Parallèlement, le nombre de revues diffusées sur la plateforme ne cesse de croître : la collection en compte à ce moment-là près d’une quarantaine.

À partir de 2008, la plateforme intègre plusieurs nouvelles fonctionnalités : une interface de navigation multilingue, un outil de recherche, un index par auteur·trices pour chaque collection de revue, un outil de sauvegarde des notices ainsi qu’une indexation permettant la recherche et la navigation dans le fonds de plateformes partenaires. Ce développement est notamment rendu possible grâce au soutien financier du ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation du Québec et du Fonds de recherche du Québec – Société et Culture (FRQSC). C’est également au début des années 2010 que des liens sont créés avec l’ensemble des provinces canadiennes et avec certains pays européens. En 2014, le Consortium Érudit devient la première infrastructure en sciences humaines et sociales à obtenir le statut d’Initiative scientifique majeure (ISM) de la part de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI).

 

Nombre de revues diffusées sur la plateforme Érudit, 1998-2023

Nombre de revues diffusées sur la plateforme Érudit, 1998-2023

Le Consortium Érudit s’allie en 2017 au Public Knowledge Project (PKP); c’est la création de Coalition Publica. L’infrastructure issue de ce partenariat repose sur la complémentarité de deux technologies phares du libre accès et de la science ouverte : le logiciel d’édition et de publication Open Journal Systems (OJS) de PKP et la plateforme de diffusion erudit.org. Cette union de leurs forces permet de bonifier les services aux revues canadiennes et d’optimiser les processus de diffusion numérique. Dès 2017, Coalition Publica obtient le soutien financier de la FCI, suivi de celui du Conseil de recherches en sciences humaines en 2020. Le FRQSC, partenaire historique d’Érudit, demeure également un soutien essentiel dans le maintien et le développement des activités du Consortium. 

En 2023, Érudit, a passé le cap des 150 000 articles savants disponibles sur sa plateforme, publiés dans 279 revues, en plus de 41 revues culturelles comptant 90 000 articles. Avec une équipe d’une quarantaine d’employé·es rattaché·es à l’Université de Montréal, l’institution est aujourd’hui solidement enracinée et répond aux besoins des revues, qui continuent d’augmenter avec le développement des politiques de libre accès.

La découvrabilité, un élément essentiel de la publication savante

La découvrabilité est définie comme le « potentiel pour un contenu, disponible en ligne, d’être aisément découvert par des internautes dans le cyberespace, notamment par ceux qui ne cherchaient pas précisément le contenu en question ». Pour les contenus scientifiques, cette découvrabilité repose à la fois sur un travail de structuration numérique minutieux et sur la qualité des métadonnées. Ces métadonnées sont utilisées sur la plateforme erudit.org elle-même, mais également par des outils de découverte largement utilisés dans les bibliothèques universitaires, par les moteurs de recherches génériques (notamment Google et Bing) et sur les médias sociaux. 

La découvrabilité est un élément clé dans l’utilisation de ces savoirs, aussi bien sur le plan national qu’international, et un gage de retombées accrues pour la production savante en français.

II. Un porte-étendard de la bibliodiversité

Les revues canadiennes en sciences humaines et sociales se distinguent par leur caractère à but non lucratif et leur ancrage dans les milieux universitaires. Elles sont les lieux de publication privilégiés des projets de recherche portant sur des objets ou des enjeux locaux et représentent des vecteurs essentiels pour la vitalité de la recherche en français dans des établissements canadiens. Néanmoins, à l’échelle mondiale, la publication savante est dominée par un petit nombre d’entreprises multinationales et l’anglais constitue la lingua franca. Aujourd’hui, une très grande majorité des revues publiées par ces éditeurs sont en anglais et bénéficient généralement d’un grand prestige auprès des communautés de recherche. Entraînés·es dans une dynamique de « publier ou périr », les chercheur·euses ressentent la pression à publier dans ces revues « à fort impact ». Le recours aux revues associées aux éditeurs commerciaux amplifie à son tour la présence de l’anglais dans la littérature scientifique. De plus, cette dynamique sert de levier à ces éditeurs pour augmenter démesurément les frais d’abonnements : depuis les années 1980, les coûts pour les bibliothèques ont augmenté en moyenne de 10% annuellement, alors que les budgets des bibliothèques universitaires stagnent depuis de très nombreuses années. Cette emprise croissante sur le budget des bibliothèques se fait aux dépens des ressources documentaires publiées dans des langues autres que l’anglais. 

Les plateformes telles qu’Érudit, CAIRN (en France) et SciELO (au Brésil) rompent avec cette approche restrictive en favorisant la diversité des publications, la bibliodiversité. La bibliodiversité réfère à un écosystème de publication équilibré et résilient, évoluant dans un espace plurilingue et dans lequel une multitude de modèles de publication coexistent, déployés par différents acteurs d’édition.

III. Le libre accès et la poursuite du bien commun

La publication savante est un élément clé du cycle de la recherche universitaire, majoritairement financée par des fonds publics. Cette recherche, et les savoirs qui en découlent, doit demeurer un bien commun, disponible à la fois pour les équipes de recherche et pour l’ensemble des citoyen·nes. Le mouvement pour le libre accès, initié en 2002 avec la publication de l’Initiative de Budapest pour l’accès ouvert, vise une transformation en profondeur de la recherche à l’échelle mondiale, et s’inscrit dans la lutte des communautés de recherche pour reprendre le contrôle de la publication savante. De leur côté, les grands éditeurs commerciaux ont développé un ensemble de pratiques qui tournent les principes du libre accès à leur avantage, comme les frais de publication (Article Processing Charges ou APCs). Le modèle des frais de publication impose aux auteur·trices de financer la parution de leurs articles. La barrière à la lecture, liée aux coûts d’abonnement, est ainsi remplacée par une barrière à la publication.

Aujourd’hui, plus de la moitié des revues diffusées sur Érudit sont en libre accès, tandis qu’une barrière mobile d’un an diffère l’accès aux numéros courants de l’autre moitié des revues de la collection, qui continuent à commercialiser leurs numéros sous forme d’abonnements. Grâce à ce modèle souple, permettant aux équipes éditoriales de choisir la formule qui convient à leur mode de financement et à leur philosophie, 98 % des articles diffusés sur la plateforme sont librement accessibles aujourd’hui. Les revues sur la plateforme Érudit n’imposent pas de frais aux auteur·trices; il s’agit du « libre accès diamant ». 

C’est en concertation avec les acteurs du milieu, les bibliothèques universitaires, les organismes subventionnaires incluant la FCI, le CRSH et le FRQSC, ainsi que les revues elles-mêmes, qu’Érudit joue un rôle actif dans la promotion d’une publication savante plus ouverte, équitable et inclusive, pour la francophonie nationale et internationale.

Bibliographie

  • Beaudry, G., Boucher, M., Niemann, T. & Boismenu, G. (2009). « Érudit : le numérique au service de l’édition en sciences humaines et sociales ». Mémoires du livre / Studies in Book Culture. https://doi.org/10.7202/038637ar

 

  • Larivière, V. (2018). « Le français, langue seconde ? De l’évolution des lieux et langues de publication des chercheurs au Québec, en France et en Allemagne ». Recherches sociographiques, 59(3), 339–363. https://doi.org/10.7202/1058718ar 

 

  • Shu, F., Mongeon, P., Haustein, S., Siler, K., Alperin, J. & Larivière, V. (2018). « Is It Such a Big Deal? On the Cost of Journal Use in the Digital Era ». College & Research Libraries, 79(6), 785. https://doi.org/10.5860/crl.79.6.785

Auteur·es :

1. Gwendal Henry, Conseiller en communications, Consortium Érudit – gwendal.henry@erudit.org

2. Simon van Bellen, Conseiller principal – recherche, Consortium Érudit – simon.van.bellen@erudit.org

3. Tanja Niemann, Directrice générale, Consortium Érudit – tanja.niemann@erudit.org